La non-violence. — 19. Le « non » de la non-violence est un « non » de résistance

Cette tribune est une réponse au texte de l’activiste Juliette Rousseau, « La non-violence doit accepter la pluralité des formes de lutte », publiée initialement sur Reporterre le 18 novembre 2016.

« La pluralité des formes de lutte » dans une même campagne d’action pose de vrais problèmes mais ce ne sont pas ceux qui sont envisagés dans la tribune de Juliette Rousseau. Sur le plan pratique de l’efficacité, l’expérience montre que la lutte violente et la résistance non-violente procèdent de logiques stratégiques sensiblement différentes et, pour une part, contradictoires. La difficulté est donc bien réelle de les articuler et de les concilier.

À travers ses quatre-vingt dix livres en langue anglaise, le leader indien Gandhi nous présente la non-violence dans toute sa richesse et dans toute sa complexité. À le lire, il devient clair que si le mot « non-violence » est formellement négatif, il ne signifie pas que la non-violence est la négation de la violence, mais qu’elle se trouve dans un rapport d’opposition réelle à la violence, c’est-à-dire que sa visée est d’en détruire les causes et les conséquences. Le non que la non-violence oppose à la violence est un non de résistance. En définitive, la non-violence n’est pas tant le refus de la violence que la lutte contre la violence.

Plus que quiconque, Gandhi avait conscience qu’il serait insensé de prétendre vivre une non-violence ab-solue (c’est-à-dire, selon l’étymologie de ce mot, dé-liée de la réalité) ; la non-violence de l’homme ne peut être que re-lative (c’est-à-dire re-liée à la réalité). « Tant que nous sommes des êtres incarnés, affirme-t-il, la non-violence parfaite n’est qu’une théorie comme celle du point ou de la ligne droite d’Euclide, mais nous devons nous efforcer de nous en rapprocher à chaque instant de notre vie [1]. » Mais si la non-violence ne peut être absolue, elle doit être radicale (du latin radix qui signifie racine), c’est-à-dire qu’elle doit s’efforcer de déraciner la violence, de la faire dépérir en détruisant ses racines culturelles, idéologiques, sociales et politiques.

« Là où il n’y a que le choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence »

Gandhi écrit encore : « Je crois vraiment que là où il n’y a que le choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence. (...) C’est pourquoi je préconise à ceux qui croient à la méthode de la violence d’apprendre le maniement des armes. Je préférerais que l’Inde eût recours aux armes pour défendre son honneur plutôt que de la voir, par lâcheté, devenir ou rester l’impuissant témoin de son propre déshonneur. Mais je crois que la non-violence est infiniment supérieure à la violence. (...) Je ne suis pas un visionnaire. Je prétends être un idéaliste pratique [2]. »

En janvier 1942, devant le Comité du Congrès de toute l’Inde réuni à Wardha, Gandhi justifie le choix de la non-violence qu’il propose à l’Inde en affirmant : « La non-violence (ahimsa) m’est un credo, le souffle de ma vie. Mais je ne l’ai jamais proposée à l’Inde comme un credo ou d’ailleurs à quiconque sauf, à l’occasion, lors de conversations informelles. Je l’ai proposée au Congrès comme une méthode politique destinée à résoudre des problèmes politiques. Il est possible que ce soit une méthode nouvelle, mais elle n’en perd pas pour cela son caractère politique. » C’est cette méthode politique que les militants de la non-violence s’efforcent de mettre en œuvre dans les luttes d’aujourd’hui. Sans arrogance, mais avec conviction et détermination.

Source : Courriel à Reporterre

 


[1] Gandhi, All Men are Brothers, Ahmedabad, Navajivan Publishing House, 1960, p. 119.

[2] Gandhi, The Collected Works of Mahatma Gandhi, Ahmedabad, The Publications Division, Ministry of Information and Broadcasting, Government of India, Vol. 18, 1965, p. 131.