Quand les États reconnaissent leur responsabilité dans des génocides

Publié le 14/06/2021

En mai 2021, deux évènements importants montrent une prise de conscience et une reconnaissance de responsabilité de deux pays d’Europe dans deux génocides survenus en Afrique au 20e siècle.

Reconnaissance de la responsabilité de l’Allemagne dans le génocide de Namibie en 1904-1908

Dans ce pays africain colonisé par l’Allemagne entre 1884 et 1915, les colons et les soldats allemands ont tué des dizaines de milliers d’Hereros et de Namas lors des massacres commis entre 1904 et 1908 par les troupes du général Lothar von Trotha, considérés par de nombreux historiens comme le premier génocide du 20e siècle.

Au moins 60 000 Herero et environ 20 000 Nama perdirent la vie. Les forces coloniales allemandes avaient employé des techniques génocidaires : massacres de masse, exil dans le désert, où des milliers d’hommes, femmes et enfants sont morts de soif, 6 camps de concentration, comme celui de Shark Island.

En 1917, Thomas O'Reilly, jeune major d'origine irlandaise, ami des Hereros, rassemble des témoignages de première main. Blue Book est le nom qu'on a donné au rapport officiel sur les atrocités commises alors.

                  
En août 2004, le ministre fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement, Heidemarie Wieczorek-Zeul, participe en Namibie à la cérémonie commémorant le massacre de plusieurs milliers de Héréros par des soldats du Reich.

En 2007, des descendants de la famille de Lothar von Trotha viennent en Namibie, à Omararu, demander pardon aux chefs héréros et namas.

En 2011, le musée anthropologique de l'hôpital de la Charité de Berlin restitue 20 crânes de Héréros et de Namas à la Namibie.

Dans un communiqué le 28 mai 2021, le ministre des affaires étrangères allemand, Heiko Maas, déclare : « Nous qualifierons maintenant officiellement ces événements pour ce qu’ils sont du point de vue d’aujourd’hui : un génocide », « À la lumière de la responsabilité historique et morale de l’Allemagne, nous allons demander pardon à la Namibie et aux descendants des victimes » pour les « atrocités » commises, poursuit le ministre. Dans un « geste de reconnaissance des immenses souffrances infligées aux victimes », l’Allemagne va soutenir la « reconstruction et le développement » en Namibie par un programme financier de 1,1 milliard d’euros.

Reconnaissance de la responsabilité de la France dans le génocide du Rwanda en 1994 

La question du rôle de la France avant, pendant et après le génocide des Tutsis du Rwanda, qui selon l’ONU a fait plus de 800.000 morts entre avril et juillet 1994, a été un sujet brûlant pendant des années, conduisant même à une rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali entre 2006 et 2009.

En 2010, Nicolas Sarkozy, le seul président à s'être rendu à Kigali depuis le génocide de 1994, avait déjà reconnu de «graves erreurs» et «une forme d'aveuglement» des autorités françaises ayant eu des conséquences «absolument dramatiques».

En mars 2021, une commission d'historiens dirigée par Vincent Duclert remet au président Emmanuel Macron un rapport sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda.
Le rapport Duclert pointe la responsabilité politique et militaire de la France à plusieurs niveaux :

  • un aveuglement continu dans le soutien au « régime raciste, corrompu et violent » au pouvoir au Rwanda durant cette période ; « la livraison en quantités considérables d’armes et de munitions au régime d’Habyarimana, tout comme l’implication très grande des militaires français dans la formation des Forces armées rwandaises. »
  • une lecture ethniciste alignée sur celle du pouvoir rwandais en place, et héritée d’un schéma colonial ;
  • un isolement de la France sur le plan international ;
  • au plan des institutions, un fonctionnement rendant difficile toute vision critique dans la chaine de prise de décisions (rôle de l'État-major particulier et de la ‘cellule Afrique’ à la présidence de la République). 

               

Le rapport conclut aux « responsabilités lourdes et accablantes » de la France et à l'« aveuglement » du président socialiste de l'époque, François Mitterrand, et de son entourage dans le soutien au régime au pouvoir au Rwanda durant cette période, mais souligne l'absence de complicité de génocide.

Cependant, souligne la commission, tout le monde ne s’est pas fourvoyé sur le Rwanda. Dans le monde politique, Pierre Joxe, ministre de la Défense de 1991 à 1993, a tenté d’obtenir le repli des moyens militaires français engagés au Rwanda. Du côté des militaires, le colonel René Galinié, attaché de défense à l’ambassade de France à Kigali de 1989 à 1991, et son supérieur le général Jean Varret, chef de la Mission militaire de coopération (MMC) au Rwanda de 1990 à 1993, ont alerté sur les risques de massacre qui pesaient sur les Tutsis. Idem pour la DGSE.

Dans son discours au mémorial du génocide de Kigali le 27 mai 2021, Emmnanuel Macon déclare :

« La France a un devoir au Rwanda : celui de regarder l’histoire en face et reconnaître la souffrance infligée au peuple rwandais. (…) En voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, (la France) restait de fait aux côtés d'un régime génocidaire. En ignorant les alertes des plus lucides observateurs, la France endossait une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu'elle cherchait précisément à l'éviter ».

On attend toujours que l’État turc reconnaisse sa responsabilité dans le génocide des Arméniens en 1915.

Et que l’État japonais reconnaisse sa responsabilité dans les massacres et crimes de guerre perpétrés en Asie du Sud-Est pendant la première partie très nationaliste et militariste de l’ère Shôwa (années 1930 et 1940), notamment les massacres de Nankin (décembre 1937-février 1938).

Étienne Godinot